samedi 30 mai 2015

Tempête.

Samedi 23 mai. Nous reprenons la route sous un temps couvert. Nous passons de l’île de Pasman à celle d’Ugljan. Distantes de quelques dizaines de mètres, elles sont reliées par un pont. En chemin, les villages ne payent pas de mine, mais ils restent authentiques. Ici on a oublié de faire de grands complexes touristiques. Il y aurait pourtant de quoi. Dans l’après-midi, la pluie fait sa réapparition, aucune envie de planter la tente. Nous trouvons un hôtel, mais il est fermé pour rénovation. La propriétaire accepte quand même de nous laisser une chambre, au milieu des travaux. 
Dimanche 24. Le soleil semble avoir refait son apparition. Après une petite balade au bout de l’île, nous partons prendre le bateau pour Zadar. Le ciel devient noir. A peine accostés, les premières gouttes se font sentir. S’en suivent presque deux heures d’une pluie soutenue. Nous patientons, abrités sous un préau de la gare maritime. Quand l’averse semble passée, les sols sont gorgés d’eau : à nouveau aucune envie de planter la tente… Nous trouvons un petit appartement dans Zadar, à deux pas du centre ville.

Lundi 25. Nous commençons la journée par une petite visite de Zadar et une balade en bord de mer pour profiter de l’orgue maritime. Les tubes aménagés à fleur d'eau répondent à l'agitation de la mer en émettant des sons plus ou moins forts ou profonds en fonction de l'onde. Nous prenons ensuite la direction de l’île de Pag, également reliée au continent par un pont. Pour changer, la pluie se met à tomber peu avant notre arrivée à Pag (la ville). Toujours aucune envie de planter la tente, nous passons la nuit dans un appartement qui offre une vue splendide sur les alentours. Le décor est lunaire.

Mardi 26. L’étape est magnifique : d’un côté le continent et ses montagnes, de l’autre des dizaines d’îles, le long de notre route un paysage minéral, sorte de pampa rocailleuse. Pour midi, le soleil fait sa réapparition : pique-nique et baignade à Novalja font le bonheur des enfants. Dans l’après midi, nous trouvons un endroit qui donne envie de planter la tente.

Mercredi 27. La journée commence tôt… 
1h00 du matin : nous sommes réveillés par un vent violent. Il se calme, reprend de plus belle, se calme, puis reprend... Quand nous l’entendons siffler sur la crête située un peu plus haut, il nous arrive dessus dans les dix secondes qui suivent. A chaque fois on croit entendre un avion qui décolle. 
1h45 : la tente est secouée dans tous sens, nous sommes obligés de la tenir, d’abord de l’intérieur. Dehors, une inspection rapide montre des sardines déterrées et les vélos à terre. Plus grave, un arceau a cassé, la toile est déchirée. La tente peut désormais s’envoler à tout moment, à chaque rafale il faut sortir la maintenir. Que faire ? Nous décidons, entre deux bourrasques, de ranger les affaires, et de nous tenir prêts à partir. Anatole dort impassiblement, Lison nous aide en tenant la tente de l’intérieur. « C’est comme une toile de parapente » lui dit-on. Ça l’amuse. 
2h15 : Dernière étape avant de démonter la tente, tout le monde doit se mettre en tenue. Mais un sifflement se fait entendre. Nouvelle rafale, encore plus forte que les autres, il faut sortir, vite. L’un des parents - dont, par pudeur, nous tairons le nom - se précipite dehors pour maintenir la tente : à poil, dans la rocaille, les deux jambes ancrées au sol, la troisième au vent, penché en arrière tel un marin dans la tempête, il fait tout pour éviter le pire. Le second parent - dont nous tairons le nom afin de ne pas éveiller les soupçons sur le premier - s’occupe comme il peut de l’intérieur. Cet ultime affolement réveille Anatole. 
2h45 : Comme tout le monde a finalement pu s’habiller et que les sacoches sont faites, il est temps de quitter le navire. Nous plions la tente, non sans mal puis nous trouvons refuge derrière la remorque. Le vent continue son festival. Par chance il ne pleut pas, ça pourrait être pire…

Avant
Après
5h15. Il fait bien jour, nous prenons la route, Il est extrêmement difficile de tenir sur les vélos. C’est avec peine que nous arrivons jusqu’au niveau de la mer, trois kilomètres plus bas. Nous prenons le bateau de 6 heures. C’est la première fois, sur cette mer endiguée par des centaines d’îles et qui prend le plus souvent l’apparence d’un lac, que nous voyons des vagues. 
6h20. Nous voilà de l’autre côté. Les rafales, toujours imprévisibles, ne semblent pas vouloir se calmer. Nous trouvons un peu de répit en nous abritant sous l’avancée d’un bar fermé. Nous déjeunons, nous remettons de l’ordre dans nos affaires bourrées à la va-vite dans la remorque et les sacoches. 
8h30. Tentative de départ. Cinq virages plus haut, et après une chute de chacun, nous devons nous résigner à nous arrêter. Repos, allongés sur la route.

11h30. Nouveau départ. Cette fois-ci un vent soutenu mais plus régulier nous permet d’aller prendre notre second bateau, une vingtaine de kilomètres plus loin. 
16h30. Arrivée sur l’île de Rab. Nous trouvons un appartement pour nous remettre de nos émotions. La journée a été longue et éprouvante…

















Jeudi 28. Nous remontons l’île, le plus souvent sur une toute petite route, à à peine un mètre de la mer. C’est splendide. A 16h, nous prenons le dernier bateau de notre voyage. 1h20 de mini-croisière, jusqu’à Krk. Anatole est triste, il pleure ! 
Vendredi 29. Krk, pourtant très prisée des Allemands, Slovènes et Autrichiens, nous emballe un peu moins que les îles précédentes. Avant notre retour sur le continent, le vent étant nul, nous décidons de tester notre tente. La réparation opérée sur l’arceau est loin d’être parfaite, mais ça tient debout. Il faudra faire avec.

Samedi 30. Nous quittons Krk par un grand pont. De là, 30 km de montée pour arriver dans ces montagnes, qui n’étaient jusque-là qu’un décor de fond. Quel changement ! De la verdure, des alpages, des chalets. On se croirait en Suisse. Arrivés à Crnis Lug, nous dépensons nos derniers kunas en louant un petit appartement. C’est notre dernière nuit en Croatie. Demain nous découvrirons la Slovénie…

vendredi 22 mai 2015

Hrvatska.

Lundi 18 mai. A 7h du matin, lorsque nous sortons du bateau, le soleil tape déjà fort. Nous cherchons un peu d’ombre pour prendre le petit déjeuner… Il nous faudra quelques forces pour quitter Split.

Nous avons choisi l’intérieur des terres pour faire connaissance avec la Croatie. L’unique route côtière offre sans doute de jolis points de vue sur la mer, mais elle est très fréquentée et réputée dangereuse. Autant l’éviter, nous profiterons de l’Adriatique plus tard. Nous prenons alors de la hauteur pour quitter l’agitation de la ville. La circulation se fait rapidement moins dense, jusqu’à devenir… nulle. Dans ces campagnes de moyenne montagne, à moins de 20 km de Split, nous pénétrons un territoire où le temps semble s’être arrêté. Les quelques villages visibles sur la carte sont en fait des hameaux. Les maisons, de briques rouges ou de parpaings gris, sont brutes, comme inachevées. De nombreuses sont en ruines ou abandonnées. L’économie locale est visiblement celle de la subsistance : le potager occupe la quasi-totalité des lopins de terre, les poules et quelques bêtes se partagent le reste. Il règne ici une atmosphère particulière, un calme absolu, une quiétude qui nous plaisent bien. On se croirait même parfois au milieu du désert, d’autant que la chaleur est accablante (38°C !). Depuis 50 km que nous roulons, pas un commerce, quasiment personne dans les maisons, pas une fontaine, pas un robinet dans les cimetières, sinon des cuves d’eau croupie. Nous sommes presque à sec, y a-t-il quelqu’un dans ce village pour nous abreuver ? Armés de notre petit dictionnaire, nous frappons à la porte ouverte d’une ancienne ferme, laissant espérer une présence. Une vieille dame, tout de noir vêtue sort, suivie de son mari. Elle va tirer du puits l’eau qui remplira nos gourdes, lui va chercher des pommes et du jus de fruit pour les enfants. La communication est difficile, les gestes aident. On nous demande si nous voulons manger. Ces gens qui n’ont rien sont prêts à donner tout, c’est très touchant. Un peu plus tard nous partons, sans même oser demander pour prendre une photo. Nous planterons la tente quelques kilomètres plus loin, rassurés d’avoir de l’eau jusqu’au lendemain midi, au moins. Hvala.



Mardi 19. Nous dévions un peu de notre itinéraire en quête d’un village de taille suffisante pour pouvoir y faire des courses. Le long de la route nous apercevons des panneaux indiquant des terrains susceptibles d’être encore minés. Les stigmates des combats sont toujours nombreux et bien présents. A y regarder de plus près, la plupart des façades sont encore criblées d’impacts de balles, d’obus. Rétrospectivement, on se remémore toutes ces maisons aux toits effondrés vues la veille. C’est impressionnant, nous ne pensions pas voir autant de traces d’une guerre datant de 20 ans maintenant. Les enfants posent des questions, alors nous parlons beaucoup sur les vélos, le temps passe vite. De Drnis, où nous avons pu trouver un magasin, nous filons vers la plaine, jusqu’à plonger dans les gorges du Krka. Nous traversons le parc national du même nom. En milieu d’après-midi, nous nous offrons un camping à la ferme. Il fait toujours aussi chaud, une douche ne fait pas de mal. Nous sommes seuls, jusqu’à l’arrivée d’un couple d’Anglais, eux aussi à vélo. Christine et Peter ont commencé leur voyage en Grèce et le termineront chez eux, du côté de Newcastle. Nous passons une belle soirée, ensemble…


Mercredi 20. Nous faisons nos derniers kilomètres dans cette Croatie de l’intérieur si étonnante et dépaysante. Nous avons cependant choisi de retourner sur la côte pour continuer par les îles notre progression vers le nord. Les enfants veulent se baigner ! Nous devons nous rendre à Biograd pour gagner, en 20 minutes de bateau, l’île de Pasman. Mais le destin en décide autrement… Nous nous arrêtons pour prendre en photo les vestiges d’une maison sur laquelle flotte un drapeau croate. Il ne reste que les fondations, un sous-sol et un bout de l’étage, tombé à l’équerre. Soudain surgit un type qui nous interpelle. On croit d’abord se faire engueuler, il nous propose en fait de venir boire un verre de vin. Nous hésitons, mais comme le gars a l’air sincère et pas trop ivrogne, nous acceptons l’invitation. Le problème, c’est toujours la communication. Alors avec Sebastijan, ses trois mots d’anglais, ses cinq d’allemand, son croate, notre français et notre dico, on fait ce qu’on peut, mais on se marre bien, surtout après le troisième verre. Sebastijan fait le café, sert un jus de fruit aux enfants, leur ramasse des fraises, cueille des cerises, il est très attentionné. Il nous parle du conflit qui l'a marqué dans sa chair, de cette guerre qui lui a fait perdre sa famille et sa maison. Il nous montre sa cicatrice qui va du pied jusqu’à la base de son cou. Il nous raconte l’histoire de sa maison. Il en a fait un monument, un mémorial, juste pour lui, autour duquel il a son potager et son verger. Quand on lui demande s’il reçoit souvent des touristes dans son petit sous-sol, il nous dit que nous sommes les premiers. Sebastijan nous emmène ensuite dans sa maison, celle qu’il habite, 300m plus loin. Il nous raconte sa vie de soldat, nous montre ses médailles, ses photos, et ses médicaments. Comment vivre avec ce passé ? Le temps avançant, nous devons lui demander si nous pouvons planter la tente sur son terrain. « Da, Da, frei, frei ! ». Alors il nous raccompagne, nous laisse la clé du sous-sol que nous mettrons sous une pierre en partant : il y a une gazinière, des chaises, une table et de quoi être à l’abri. Sebastijan est gêné de ne pas pouvoir tous nous accueillir dans l’unique chambre de sa petite maison. Il reste avec nous jusqu’à la nuit puis nous quitte en nous embrassant. Nous ne le reverrons pas. Ça nous en bouche un coin… pas facile de s’endormir après ça.



Jeudi 21. Le temps a changé, nous devons rouler sous une pluie intermittente jusqu’à Biograd. Au port, en attendant le bateau, le contraste est saisissant : voitures de sport, luxueuses berlines, voiliers, yachts… C’est la facette d’une autre Croatie. On se renseigne sur la météo : ce sera bien pire demain. Il nous faut trouver un logement pour les deux prochaines nuits. Sur la petite île de Pasman, cela s’avère finalement chose aisée. De nombreux particuliers louent des appartements, souvent une partie de leur maison. Pour 30 € la nuit, on a deux chambres, une petite cuisine et une grande terrasse couverte : parfait pour attendre le retour d’un temps plus clément… 
Vendredi 22. Trombes d’eau : repos pour tout le monde.

Le petit port de Pasman...
...sous la pluie.